La Commission européenne a présenté le 26 février 2025 son Clean Industrial Deal. L’objectif : faire de la décarbonation un réel moteur de croissance pour l’Europe, source d’innovation et de compétitivité pour les industries européennes. Dans cet article, nous vous présentons tout ce qu’il faut savoir sur ce nouveau programme, ses objectifs et les conséquences pour les entreprises.
Qu’est-ce que le Clean Industrial Deal ?
Le Clean Industrial Deal (ou Pacte pour une industrie propre) est une feuille de route pour la compétitivité et la décarbonation de l’Union Européenne présentée le 26 février 2025 par la Commission européenne. Ce programme marque une évolution importante dans la politique environnementale de l’UE. Il vise en effet à rééquilibrer la transition écologique autour de l’industrie et de la compétitivité.
A l’origine du Clean Industrial Deal : le Pacte vert pour l’Europe
Pour comprendre l’origine du Clean Industrial Deal, il faut remonter à la mise en place du Pacte vert européen (European Green Deal) en 2019, qui ambitionne de faire de l’Union Européenne une industrie décarbonée d’ici à 2050 et une réduction de 55% des émissions nettes de gaz à effet de serre d’ici à 2030 et de 90% d’ici à 2040.
Lors de la crise énergétique de 2022-2023, il est apparu que la mise en œuvre de ce programme environnemental risquait d’impacter fortement la compétitivité des industries européennes dans un contexte notamment de hausse des prix de l’énergie. L’UE a ainsi décidé d’adopter de nouvelles mesures pour rendre la décarbonation réalisable et rentable pour les industries européennes, en leur donnant les moyens à la fois industriels et économiques pour la mettre en œuvre sans que leur compétitivité n’en soit affectée.
En résumé, alors que le Green Deal établit les objectifs climatiques pour l’Union Européenne, le Clean Industrial Deal vise à atteindre la neutralité carbone de l’UE sans désindustrialiser, à verdir l’industrie tout en renforçant sa souveraineté technologique et économique et donc à rendre la transition écologique de l’UE économiquement soutenable pour les industries européennes.
Quels sont les objectifs et leviers du Clean Industrial Deal ?
Le Clean Industrial Deal définit un programme d’actions concrètes pour faire de la décarbonation un réel moteur de croissance pour l’industrie européenne. Dans ce but, il définit six piliers d’actions.
1. Réduire les coûts de l’énergie
L’un des objectifs principaux du Clean Industrial Deal est de réduire les coûts énergétiques pour les industriels en facilitant leur accès à une production d’énergie bas-carbone. Adopté le 26 février 2025, le plan d’action pour une énergie abordable vise à donner les moyens de cette transition en activant trois leviers principaux :
- accélérer le déploiement de l’énergie propre (notamment les énergies renouvelables) et l’électrification ;
- finaliser le marché intérieur de l’énergie grâce à la création d’interconnexions physiques ;
- utiliser plus efficacement l’énergie : modernisation des équipements, optimisation énergétique des chaînes de production, etc.
Ces différentes mesures doivent permettre de réduire la dépendance envers les combustibles fossiles importés (pétrole, gaz naturel, charbon) et ainsi de réduire à court terme les factures énergétiques des industries, des entreprises mais aussi des ménages.
2. Stimuler l’offre et la demande de produits durables “made in Europe”
Le Clean Industrial Deal vise également à augmenter l’offre et la demande de produits durables en UE afin d’accélérer la transition écologique, de renforcer la compétitivité industrielle et de créer un marché intérieur plus résilient. L’objectif est de faire de la durabilité un moteur de croissance et d’innovation en Europe.
Le principal levier de cet objectif doit être un acte législatif visant à accélérer la décarbonation de l’industrie, dont l’adoption est attendue au quatrième trimestre 2025. Parmi les principales mesures attendues :
- accélérer l’octroi des autorisations pour l’accès de l’industrie à l’énergie et la décarbonation industrielle (notamment concernant la modernisation des sites de production sidérurgiques) ;
- mettre en place un étiquetage de produits bas-carbone pour l’acier puis pour le ciment, l’objectif étant de permettre aux entreprises de tirer profit de la “prime verte” et de fournir aux consommateurs des informations sur l’intensité carbone des produits ;
- introduire des critères de durabilité, de résilience et de préférence européenne dans les appels d’offres publics et privés afin de favoriser un approvisionnement européen “propre” pour les secteurs industriels fortement consommateurs d’énergie (acier, ciment, verre, chimie, etc.). A ce titre, la Commission européenne prévoit notamment une révision de la directive sur les marchés publics.
3. Financer la transition vers une énergie propre produite en UE
Afin de garantir la transition vers une énergie “propre” produite en UE, le Clean Industrial Deal vise à développer plusieurs moyens de soutien financier par le biais notamment :
- d’un nouvel encadrement des aides d’Etat pour accélérer l’autorisation des aides en faveur du déploiement d’énergies renouvelables, de la décarbonation de l’industrie et de la constitution de capacités de production suffisantes dans le secteur des technologies propres ;
- d’un renforcement de la recherche et de l’innovation dans le domaine de la décarbonation grâce à un appel dans le cadre d’Horizon Europe ;
- d’une augmentation du montant des garanties financières pouvant être fournies dans le cadre du programme InvestEU. L’objectif final est de permettre la mobilisation de jusqu’à 50 milliards d’euros pour le déploiement des technologies propres, de solutions de mobilité propre et de réduction des déchets.
4. Renforcer la circularité et l’accès aux matériaux
Le Clean Industrial Deal met aussi l’accent sur le renforcement de la circularité, essentielle pour optimiser les ressources limitées de l’UE, réduire les dépendances et augmenter la résilience.
Pour cela, l’UE envisage d’activer plusieurs leviers notamment :
- une mise en œuvre rapide du règlement sur les matières premières critiques (Critical Raw Materials Act) avec établissement d’une première liste de projets stratégiques en mars 2025 ;
- la mise en place d’un mécanisme permettant aux entreprises européennes de se regrouper pour agréger leurs demandes de matières premières critiques (sous la forme d’une plateforme) ;
- la création d’un centre de l’UE dédié aux matières premières critiques permettant d’effectuer des achats conjoints de matériaux pour le compte des entreprises intéressées ;
- l’adoption, en 2026, d’un acte législatif sur l’économie circulaire visant à mettre en place un marché unique des déchets et matériaux réutilisables afin de faire le meilleur usage possible des ressources de l’UE et de réduire la dépendance à l’égard des matériaux rares en provenance de fournisseurs peu fiables.
5. Renforcer les partenariats commerciaux à l’échelle mondiale
L’un des objectifs majeurs du Clean Industrial Deal est également de lancer des partenariats commerciaux à l’échelle internationale avec des partenaires fiables afin de diversifier et sécuriser les approvisionnements de l’UE notamment concernant l’accès aux matières premières critiques et les technologies propres. L’objectif est de créer des alliances stratégiques qui soutiennent la transition énergétique mondiale et permettent de renforcer la compétitivité industrielle de l’UE.
6. Assurer l’accès à une main-d’œuvre qualifiée
Enfin, le Pacte vise aussi à garantir que les États membres de l’Union Européenne disposent des compétences nécessaires pour soutenir cette transition vers une économie à faible intensité de carbone.
L’un des principaux leviers est la mise en place d’une Union des compétences visant à renforcer les capacités humaines. Celle-ci doit se concentrer sur le développement des compétences dans les technologies propres, la numérisation et l’entrepreneuriat. L’UE prévoit notamment la création d’académies de compétences européennes, soutenues par des programmes tels qu’Erasmus+, avec un financement pouvant atteindre 90 millions d’euros.
Clean Industrial Deal : quels sont les secteurs stratégiques concernés ?
Le Clean Industrial Deal vise en priorité deux secteurs étroitement liés :
- les industries à forte intensité énergétique, autrement dit les secteurs dont les procédés de production et de fabrication requièrent un haut niveau d’énergie et qui émettent beaucoup de CO2 (secteurs de l’acier, des métaux, de la chimie, du ciment, du verre, etc.). La Commission européenne leur reconnaît en effet le besoin d’un soutien urgent pour se décarboner et faire face aux coûts élevés de l’énergie et à la concurrence déloyale au niveau mondial qui affectent leur compétitivité.
- le secteur des technologies propres, qui inclut toutes les industries dont les activités sont directement utiles à la transition énergétique (énergies renouvelables, hydrogène, électrification, mobilités propres, etc.). Un secteur que l’UE décrit comme “au cœur de la compétitivité future et nécessaire à la transformation industrielle, la circularité et la décarbonation”.
Au-delà de ces deux grandes catégories, le Clean Industrial Deal s’adresse tout particulièrement à certains secteurs pour lesquels il prévoit la mise en œuvre de plans sectoriels dédiés :
- le secteur de l’automobile : un plan d’action pour l’industrie automobile a été présenté en mars 2025, qui se focalise principalement sur l’innovation dans les technologies futures.
- l’acier et les métaux : un plan d’action pour l’acier et les métaux a été présenté en mars 2025, qui définit les mesures pour les métaux ferreux et non-ferreux, essentiels pour la transition écologique et numérique.
- l’industrie chimique : l’enjeu y est particulièrement fort en raison de ses émissions carbone, son importante consommation énergétique et ses approvisionnements (matières premières). L’UE prévoit ainsi l’adoption d’un paquet industrie chimique d’ici la fin 2025 visant à mettre l’accent sur le rôle stratégique de ce secteur et à stimuler sa compétitivité, sa modernisation et l’innovation.
- les transports durables, qui doivent faire l’objet d’un plan d’investissement spécifique visant à privilégier les carburants à faible teneur en carbone pour transport aérien et maritime, à développer les infrastructures de recharge et à soutenir la transition énergétique du secteur ferroviaire.
- la bioéconomie, un secteur dont l’enjeu réside notamment dans la nécessaire réduction de sa dépendance aux matières premières importées et pour aller vers davantage de circularité. Le Clean Industrial Deal prévoit ainsi l’adoption d’une stratégie spécifique pour la bioéconomie.
- enfin, un Pacte européen pour les océans doit être adopté afin de stimuler l’innovation dans les technologies propres “bleues”, les énergies renouvelables offshore et les pratiques d’économie circulaire.
Clean Industrial Deal : quels impacts pour les entreprises ?
Pour rappel, l’industrie représente environ 15% des émissions de gaz à effet de serre en France selon l’ADEME. Ce constat a amené le Gouvernement et l’ADEME à définir des plans de transition sectoriels (PTS) pour les 9 secteurs les plus consommateurs d’énergie (IGCE) : le ciment, l’aluminium, l’ammoniac, l’acier, le sucre, le verre, le papier-carton, l’éthylène et le chlore.
Ces PTS offrent un cadre concret pour accompagner les industries dans la construction de leur trajectoire de décarbonation en alliant performance économique et souveraineté énergétique. Ils ont très certainement influencé la conception du Clean Industriel Deal et apparaissent ainsi comme des outils stratégiques majeurs au service de sa mise en œuvre.
Plus globalement, le Clean Industrial Deal présente de nombreuses opportunités pour les entreprises relevant des secteurs industriels concernés :
- la possibilité de devenir de réelles “vitrines de décarbonation” grâce à un soutien à la fois public et privé ;
- une baisse des coûts à long terme grâce à la décarbonation, le retour à une plus grande autonomie et une baisse de la dépendance (importation d’énergie, matières premières) ;
- le développement de nouvelles filières industrielles en particulier dans le secteur des technologies propres (batteries, hydrogène bas-carbone, énergies renouvelables) et de l’économie circulaire. Le soutien financier permis par le Clean Industrial Deal constitue en effet une chance réelle de renforcer ces secteurs encore émergents ;
- l’apport de financements mais aussi la levée de certains freins réglementaires à la décarbonation (aides d’Etat, critères de durabilité dans les marchés publics, etc.).
Parmi les principaux dispositifs de financement européens associés au Clean Industrial Deal, on trouve notamment le Clean Industrial Deal State Aid Framework (CISAF), l’Innovation Fund, l’Industrial Decarbonisation Bank ou encore le programme InvestEU. En France, on peut mentionner les aides de l’ADEME pour la décarbonation de l’industrie, le plan France 2030 ou encore le Plan Climat de BPIfrance.
Conclusion
En consacrant à l’échelle européenne la décarbonation comme un réel moteur de croissance et un facteur de compétitivité pour les industries européennes, le Clean Industrial Deal représente une avancée majeure pour la transition écologique et énergétique de l’UE. Il constitue une réelle opportunité économique et écologique pour les industries des États membres grâce à la mise en place de nouveaux dispositifs de financement mais aussi d’un nouveau cadre réglementaire plus incitatif.
Sa mise en œuvre comporte néanmoins de nombreux défis qui devront être surmontés pour garantir son efficacité. En particulier, le coût des investissements nécessaires à la décarbonation va nécessiter à la fois des subventions importantes mais aussi des garanties étatiques très fortes pour convaincre les industriels de sauter le pas sans risque pour leur compétitivité. De même, l’approvisionnement en matières premières critiques reste un enjeu réel notamment dans le secteur des technologies propres qui reste à ce jour dépendant de l’importation de nombreux composants, métaux ou terres rares.
Les principaux facteurs de succès de ce nouveau programme résideront dans la traduction des engagements du Clean Industrial Deal en politiques nationales cohérentes (financements, aides, cadres réglementaires lisibles) mais aussi dans l’implication des différents acteurs concernés.
Pour aller plus loin
- Pacte pour une industrie propre (Communication de la Commission du 26 février 2025)
- FAQ sur le pacte pour une industrie propre
- Plans de transition sectoriels de l’ADEME