Le harcèlement sexuel constitue un risque professionnel à part entière que l’employeur a l’obligation de prévenir, d’évaluer et de traiter rapidement. Pourquoi et comment mettre en place une politique de prévention efficace en matière de harcèlement sexuel ? Tennaxia vous présente tout cela en détail dans cet article.
Harcèlement sexuel en entreprise : de quoi parle-t-on ?
Définition(s) du harcèlement sexuel
Le harcèlement sexuel est une notion complexe à définir. Il peut prendre des formes très diverses et recouvre une multitude de propos et comportements. Avant d’en venir aux obligations de l’employeur, il est donc important de bien clarifier les contours de cette notion en se fondant sur les dispositions réglementaires qui la définissent.
Le Code du travail distingue deux types de harcèlement sexuel :
1) Une pression grave dans le but d’obtenir un acte de nature sexuelle (on parle de harcèlement sexuel “assimilé”)
“Aucun salarié ne doit subir de faits (...) assimilés au harcèlement sexuel, consistant en toute forme de pression grave, même non répétée, exercée dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers” (article L1153-1 C. trav.).
Cette première forme de harcèlement sexuel se caractérise par plusieurs éléments :
- l’exercice d’une pression grave, même non répétée : l’auteur emploie des techniques de “chantage sexuel” en essayant d’imposer à une personne un acte de nature sexuelle en contrepartie soit d’un avantage (meilleur poste, augmentation…) soit de l’assurance que celui lui permettra d’éviter une situation dommageable (licenciement, mutation…). Il peut s’agir d’un acte isolé.
- dans un but réel ou apparent : le harcèlement sexuel est caractérisé dès lors qu’une intention est exprimée ou suggérée par l’auteur. Autrement dit, il n’est pas nécessaire que celui-ci ait réellement l’intention de passer à l’acte.
- d’obtenir un acte de nature sexuelle : ne sont pas visées uniquement les demandes de relations sexuelles mais plus généralement toutes demandes destinées à assouvir un fantasme d’ordre sexuel ou à accentuer/provoquer le désir sexuel.
- recherché au profit de l’auteur des faits ou d’un tiers : l’acte sexuel peut être recherché au profit d’une personne autre que l’auteur des faits.
📃 Jurisprudence : Constitue du harcèlement sexuel le fait pour un président d’association d’avoir suggéré à une salariée se plaignant de coups de soleil de dormir avec lui dans sa chambre, prétendant que cela permettrait de “lui faire du bien” (Cass. soc. 17 mai 2017, n°15-19.300).
2) Des propos ou comportements à connotation sexuelle non désirés et répétés
“Aucun salarié ne doit subir des faits de harcèlement sexuel, constitué par des propos ou comportements à connotation sexuelle répétés qui :
- portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant ;
- créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante” (article L1153-1 C. trav.).
Cette forme de harcèlement sexuel est en pratique moins facile à appréhender que la première. Elle se caractérise principalement par :
- des propos ou comportements répétés (au moins deux)
- subis et non désirés par la victime : le non-consentement est l’un des éléments constitutifs du harcèlement sexuel. Cependant, la réglementation n’impose pas que celui-ci ait été exprimé de façon expresse et explicite.
- portant atteinte à la dignité de la personne : il peut s’agir, par exemple, de plaisanteries obscènes, de propos familiers à connotation sexuelle ou sexiste, sifflements, regards insistants, etc.
- ou qui créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante : par exemple, des contacts physiques non désirés, des questions d’ordre intime sur les pratiques sexuelles, etc.
📃 Jurisprudence : Constitue du harcèlement sexuel le fait pour un employeur de déposer sur le bureau d’une salariée des ouvrages ou articles à caractère sexuel, de proférer à son encontre des remarques, invitations ou propositions sexuelles parfois accompagnées de gestes déplacés (Cass. soc. 17 mai 2017, n°15-19.300).
Le harcèlement sexuel doit être distingué :
- de l’agissement sexiste, défini comme “tout agissement lié au sexe d’une personne, ayant pour objet ou pour effet de porter atteinte à sa dignité ou de créer un environnement intimidant, hostile, dégradant, humiliant ou offensant” (article L1142-2-1 C. trav.) ;
- d’autres types d’infractions telles que les agressions sexuelles ou le harcèlement moral (dénué de connotations sexuelles).
Reste qu’en pratique, la frontière est mince entre toutes ces différentes notions. En effet, il n’est pas rare que des agissements sexistes coexistent avec du harcèlement sexuel voire avec des attouchements de nature sexuelle (agression sexuelle). L’employeur, au titre de son obligation générale de sécurité, doit prévenir l’ensemble de ces comportements.
Le harcèlement sexuel constitue un délit pénal
Les faits de harcèlement sexuel sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000 euros d’amende (article 222-33 Code pénal). Cette peine peut être portée à 3 ans d’emprisonnement et 45000 euros d’amende en cas de circonstances aggravantes (exemples : faits commis sur un mineur de 15 ans, une personne vulnérable, par plusieurs personnes complices, etc.).
Il est également important de préciser que dans un arrêt du 12 mars 2025, la Cour de cassation a pour la première fois consacrée que “des propos à connotation sexuelle ou sexiste adressés à plusieurs personnes, ou adoptés devant plusieurs personnes, sont susceptibles d’être imposés à chacune d’entre elles”. Autrement dit, le délit de harcèlement sexuel peut être caractérisé même en l’absence d’une seule victime ciblée. On parle de harcèlement sexuel « ambiant » ou « environnemental ».
Quels sont les enjeux de la prévention du harcèlement sexuel en entreprise ?
Malgré des progrès législatifs et une sensibilisation croissante, le harcèlement sexuel en entreprise demeure une problématique majeure et souvent taboue. En 2014, 20% des femmes actives disent avoir été confrontées à une situation de harcèlement sexuel au cours de leur vie professionnelle. Pourtant, seuls 3 cas sur 10 sont rapportés à la direction ou à l’employeur et près de 30% des victimes n’en parlent jamais (source : enquête IFOP 2014 pour le Défenseur des droits).
La promotion d’une culture d’entreprise fondée sur le respect et l’égalité des sexes joue un rôle crucial pour libérer la parole des victimes. Cependant, des progrès sont encore nécessaires. En effet, seules 58% des salariées auraient le sentiment d’être suffisamment protégées contre le harcèlement sexuel au travail par les dispositifs existants au sein de l’entreprise (source : Baromètre Ipsos 2025 Stop au Sexisme Ordinaire en Entreprise).
Mais l’enjeu de la prévention du harcèlement sexuel ne réside pas uniquement dans la protection de la santé mentale des victimes. Il emporte également des conséquences importantes pour l’entreprise, à la fois sur le plan juridique, économique et social :
- juridique : l’entreprise peut être tenue responsable en cas de manquement à ses obligations, avec un risque de sanctions financières et de frais liés aux procédures judiciaires ;
- économique : en créant un climat de travail toxique favorable à l’absentéisme et au turnover, le harcèlement peut entraîner une perte de productivité pour l’entreprise, ainsi que des coûts liés au recrutement et à la formation de nouveaux salariés.
- social : le harcèlement peut dégrader l’image de l’entreprise et ainsi nuire à ses relations avec ses parties prenantes (clients, partenaires, fournisseurs) mais aussi entraîner une perte de talents, des difficultés à recruter ainsi qu’un désengagement des collaborateurs.
Harcèlement sexuel en entreprise : quelles sont les obligations de l’employeur ?
L’employeur doit prendre toutes les dispositions nécessaires pour prévenir les faits de harcèlement sexuel, y mettre un terme et les sanctionner (article L1153-5 C. trav.). La lutte contre le harcèlement sexuel en entreprise revêt donc deux dimensions :
- une dimension préventive : au titre de son obligation générale de sécurité, l’employeur doit prendre toutes les mesures préalables qu’il estime nécessaires pour éviter que de tels faits ne se produisent ;
- une dimension corrective/répressive : dès lors qu’il est informé de faits de harcèlement sexuel, l’employeur doit prendre les mesures immédiates pour y mettre fin.
Il est impératif d’agir sur ces deux plans. En effet, le seul fait de mettre fin à une situation de harcèlement sexuel ne suffit pas à dégager l’employeur de sa responsabilité. Il doit également avoir agi en amont par le biais d’une politique de prévention.
Evaluer le risque de harcèlement sexuel dans l’entreprise
Conformément aux principes généraux de prévention des risques professionnels, l’évaluation des risques professionnels doit prendre en compte, en tant que risque psychosocial, le risque de harcèlement sexuel et d’agissements sexistes dans l’entreprise et ses résultats doivent être retranscrits dans le document unique (DUERP).
ℹ Notez-le : Il n’existe pas une méthode unique pour évaluer ce risque. Toutefois, certains indicateurs peuvent utilement être pris en compte :
● certains travailleurs sont-ils isolés ou particulièrement vulnérables ?
● existe-t-il une forte hiérarchie des rapports sociaux dans l’entreprise ?
● quelle est la fréquence et la nature des contacts avec le public ?
● quel est le taux de mixité au sein des équipes ?
● etc.
Pour garantir son exhaustivité et son objectivité, il est important que cette évaluation soit nourrie par les points de vue de différentes personnes (membres du CSE, médecin du travail, psychologues du travail, etc.).
En fonction du niveau de risque identifié, l’employeur doit ensuite déterminer le type d’actions à mettre en place.
Informer et sensibiliser les collaborateurs au harcèlement sexuel
La communication sur la thématique du harcèlement sexuel constitue une obligation réglementaire. En effet, l’article L1153-5 du Code du travail exige que les salariés, stagiaires et candidats soient informés, dans les lieux de travail ainsi que dans les locaux où se fait l’embauche :
- du texte de l’article 222-33 du Code pénal (délit de harcèlement sexuel) ;
- des actions contentieuses civiles et pénales ouvertes en matière de harcèlement sexuel ;
- des coordonnées des autorités et services compétents.
ℹ Notez-le : Le Code du travail prévoit aussi que le règlement intérieur de l’entreprise doit mentionner les dispositions du Code du travail relatives au harcèlement sexuel et aux agissements sexistes (article L1321-2 C. trav.).
Outre cette obligation générale d’information, l’employeur peut également mettre en place, au titre de son obligation de sécurité, toute action supplémentaire de sensibilisation et d’information supplémentaire qu’il jugerait nécessaire, notamment :
- une sensibilisation plus globale à destination de l’ensemble des collaborateurs, par le biais, par exemple, de notes de service, mails, affichages, temps d’information et d’échanges. L’objectif est de garantir à tout salarié la capacité d’identifier les situations de harcèlement sexuel dont il pourrait être victime, témoin ou auteur.
- la formation des membres du CSE et des managers, ces derniers jouant un rôle central dans la lutte contre le harcèlement sexuel.
🛠️ Outils : L’INRS a élaboré plusieurs affiches que les entreprises peuvent utiliser pour sensibiliser leurs collaborateurs.
Désigner un référent en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes
Depuis 2018, dans toute entreprise d’au moins 250 salariés, l’employeur doit désigner un salarié référent chargé d’orienter, d’informer et d’accompagner les salariés en matière de lutte contre le harcèlement sexuel et les agissements sexistes (article L1153-1 C. trav.).
ℹ Notez-le : L’employeur dispose d’une marge de manœuvre pour déterminer l’étendue des missions de ce référent. Elles peuvent notamment concerner la réalisation d’actions de sensibilisation/formation, la mise en œuvre de procédures internes visant à faciliter le signalement et le traitement des situations de harcèlement sexuel, etc.
Par ailleurs, dès lors qu’un CSE existe dans l’entreprise, ses membres doivent désigner un référent harcèlement sexuel au CSE (article L2314-1 C. trav.).
Réagir rapidement et efficacement face à une situation de harcèlement sexuel
Chaque signalement de harcèlement sexuel doit être traité rapidement et efficacement (article L1153-5 C. trav.). En effet, l’employeur dispose d’un délai de 2 mois pour sanctionner l’auteur d’un fait de harcèlement. Ce délai s’apprécie à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance (article L1332-4 C. trav.). Au-delà de ce délai, il n’est plus possible de sanctionner l’auteur à moins que des poursuites pénales aient été engagées.
ℹ Notez-le : Si le signalement émane d’un membre du CSE, c’est alors la procédure spécifique au droit d’alerte qui s’applique. L’employeur est tenu de procéder sans délai à une enquête et de prendre les dispositions pour remédier à la situation.
Une fois le signalement réceptionné par l’employeur, il doit faire l’objet d’une première analyse par le référent désigné (dans les entreprises d’au moins 250 salariés) ou par le responsable RH, un membre de la direction ou encore l’employeur lui-même dans les entreprises de taille inférieure.
Le Ministère du travail recommande ensuite le suivi de 3 étapes :
1) Accuser réception du signalement : bien que non obligatoire, cela permet à l’auteur du signalement d’être informé que la situation est en cours de traitement.
2) Procéder à un premier échange avec l’auteur du signalement (et la victime si ce n’est pas la même personne) : l’objectif est de recueillir des précisions sur les faits.
3) Procéder à une première analyse des faits afin d’orienter la suite de la procédure.
A l’issue de cette première analyse des faits signalés, plusieurs possibilités se présentent :
- Il apparaît clairement qu’il ne s’agit pas d’une situation de harcèlement sexuel ou d’agissements sexistes : l’employeur informe alors l’auteur du signalement qu’aucune enquête ne sera menée.
⚠️ Attention : Même si légalement le harcèlement sexuel n’est pas caractérisé, le signalement peut révéler un dysfonctionnement ou un mal-être du salarié victime qui ne doivent pas être pris à la légère. Il est donc important de réfléchir malgré tout à des solutions de règlement du conflit. Rappelons que l’employeur doit protéger la santé mentale de ses travailleurs.
- Il ne s’agit pas de harcèlement sexuel mais d’un agissement sexiste : dans ce cas, l’employeur doit procéder a minima à un rappel à l’ordre de son auteur ;
- La piste d’un harcèlement sexuel ne peut être écartée : il est alors recommandé de réaliser une enquête interne afin d’établir la réalité des faits et de s’assurer de la responsabilité de la personne mise en cause.
ℹ Notez-le : Légalement, la réalisation d’une enquête n’est obligatoire que lorsque l’employeur est saisi par un membre du CSE dans le cadre de son droit d’alerte. Elle est néanmoins fortement recommandée.
Le cas échéant, il est primordial que l’enquête soit menée avec discrétion pour protéger la dignité et la vie privée de l’ensemble des personnes impliquées (victime, témoins, auteur). Elle peut être réalisée conjointement par un membre de la direction et un membre du CSE pour garantir la pluralité des points de vue.
🔎 Focus : Dans le cadre de cette enquête, il convient a minima d’auditionner la victime présumée, l’auteur du signalement, la personne mise en cause, les éventuels témoins ainsi que leurs responsables hiérarchiques directs.
Pour information, la Défenseure des droits a publié le 6 février 2025 une décision-cadre apportant un certain nombre de recommandations méthodologiques aux employeurs pour la réalisation des enquêtes en matière de discrimination et de harcèlement. N’hésitez pas à la consulter.
L’enquête donne lieu à un rapport qui rassemble les comptes-rendus des auditions effectuées et qui conclut si les faits de harcèlement sexuel sont ou non caractérisés.
- En cas de harcèlement sexuel caractérisé : l’employeur doit appliquer une sanction disciplinaire à l’auteur (article L1153-6 C. trav.). À défaut, sa responsabilité peut être engagée. Il doit également veiller à ce que la victime retrouve des conditions normales de travail.
- En cas de harcèlement sexuel non caractérisé : le salarié à l’origine du signalement bénéficie d’une protection et ne peut pas être sanctionné sauf en cas de mauvaise foi (il était conscient de la fausseté des faits signalés).
⚠️ Attention : Dans les deux cas, il est important de rester vigilant et de veiller à la non-détérioration des relations de travail à la suite de l’enquête réalisée, cette dernière pouvant générer des tensions et l’instauration d’un climat de défiance entre les personnes impliquées.
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